Pierre Gaultier de Varennes et de La Vérendrye au lac des Bois (actuels Ontario, Manitoba et Minesota)

Pierre Gaultier de Varennes et de La Vérendrye au lac des Bois (actuels Ontario, Manitoba et Minnesota)

La conquête de l’Ouest évoque le processus de colonisation américaine, au XIXe siècle, des immenses territoires peuplés par les Indiens entre le fleuve Mississipi et l’océan Pacifique. Mais c’est oublier qu’un siècle plus tôt, comme dans l’ensemble de la Nouvelle-France, les explorations franco-canadiennes vers l’Ouest canadien ont ancré profondément la langue française dans les territoires à travers le métissage.

Mais qu’est-ce qui pouvait donc bien pousser les explorateurs de la Nouvelle-France toujours plus vers l’Ouest ? Le désir de gloire ? L’aventure ? L’appât du gain ? A cette époque, deux mirages les obsédaient, le premier celui de découvrir des mines d’or ou d’argent et surtout le second d’explorer un passage direct vers « la mer de l’Ouest », sorte de golfe s’ouvrant vers l’océan Pacifique pour accéder plus rapidement à l’Orient et ses richesses. Mais même si le continent paraissait décidément infranchissable, les Français pouvaient mettre à profit leur activité économique de prédilection (la traite des fourrures) et compter sur leurs alliés indéfectibles : les Indiens et…les Indiennes.

La Vérendrye explore l'Ouest canadien en 1732

L’expédition de La Vérendrye dans l’Ouest canadien en 1732

La Vérendrye à la conquête de l’Ouest

Après de nombreuses tentatives infructueuses, la recherche de la mer de l’Ouest est relancée dans les années 1730 par les expéditions de Pierre Gaultier de Varennes et de La Vérendrye et de ses fils. Le roi Louis XV leur accorde un monopole de traite des fourrures couvrant les vastes territoires de la Compagnie britannique de la Baie d’Hudson fondée en 1670 (« Terre de Rupert »). L’espoir est clairement de rétablir dans l’Ouest canadien le commerce français des fourrures qui avait souffert de la cession de la baie d’Hudson aux Anglais, en 1713.

Les La Verendrye et leurs associés partirent du lac Supérieur et s’enfoncèrent lentement vers l’intérieur du continent. A cette époque, seul Jacques de Noyon s’était aventuré en 1688 jusqu’au lac La Pluie (Rainy Lake), à la frontière actuelle entre l’Ontario (Canada) et le Minnesota (Etats-Unis), non loin de la ville américaine d’International Falls. Mais plus à l’Ouest, les territoires étaient encore inconnus des Européens. Avec l’aide de leurs alliés cris et assiniboines, ils firent ériger en dix ans une série de forts et postes de traite, depuis le lac La Pluie et le lac des Bois (Lake of the Woods) jusqu’à l’embouchure de la rivière Saskatchewan, à l’Ouest du lac Winnipeg, dans l’actuel Manitoba (carte ci-dessous). Mais La Vérendrye et ses successeurs, sous le régime français, ne purent jamais franchir les montagnes Rocheuses à l’Ouest.

Les chemins d'eau explorés par La Vérendrye dans l'Ouest canadien

L’Ouest canadien exploré par La Vérendrye

Le mystère de la mer de l’Ouest ne sera élucidé que bien plus tard, en 1793, après la chute de la Nouvelle-France (1763), par l’explorateur Alexander Mackenzie, premier Européen à traverser le continent nord-américain d’Est en Ouest pour le compte de la Compagnie de traite des fourrures du Nord-Ouest, fondée en 1783 à Montréal par les marchands anglo-écossais.

La Vérendrye ne faisait que poursuivre dans le Nord-Ouest canadien la colonisation extensive du continent nord-américain par l’établissement de forts et postes de traite placés à des endroits stratégiques. La traite des fourrures et les alliances conclues avec les populations indiennes qui contrôlaient ces immenses territoires permettaient à la Nouvelle-France d’assurer une présence française à l’extérieur de la colonie de peuplement de la vallée du Saint-Laurent.

Le métissage comme logique d’Empire colonial

Dès les débuts de la Nouvelle-France, le pouvoir royal autorise les mariages mixtes, afin de faciliter la francisation des Indiens et un peuplement plus rapide de la colonie. En 1633, Champlain déclare à ses alliés montagnais : « nos garçons se marieront avec vos filles et nous ne ferons plus qu’un peuple ». Deux ans plus tard il annonce aux Hurons que les Français iront « en grand nombre en leur Pays, qu’ils épouseront leurs filles quand elles seront chrétiennes ». Il est vrai que le manque criant de femmes blanches dans la colonie du Saint-Laurent poussait les jeunes hommes à tenter l’aventure dans les Pays d’en Haut (région des Grands Lacs), attirés par la traite des fourrures et par les Indiennes.

Toutefois, cette politique de francisation des Indiennes ne suscitera au XVIIIè siècle de la part des autorités que déception et parfois rejet. En revanche, l’indianisation des Français, bien que ne résultant pas d’une politique officielle (les autorités n’aiment pas le désordre et le libertinage !), sera un succès total, encouragée par l’hospitalité sexuelle des Indiennes. Dans les Pays d’en Haut comme, par la suite, dans le Nord-Ouest, ce sont les mariages « à la façon du pays » qui seront les plus pratiqués, généralisant ainsi, à l’échelle du continent, le métissage biologique.

La traite des fourrures dans l'Ouest canadien en 1821

Principaux postes de traite des fourrures en 1821

La traite des fourrures comme vecteur de la langue française

Les expéditions de La Vérendrye et de ses compagnons et l’établissement de nombreux forts et postes de traite favorisent l’émergence des premières familles métisses dans ces immenses territoires qui constituent aujourd’hui le Manitoba et la Saskatchewan.

Après la chute de la Nouvelle-France, la Compagnie du Nord-Ouest (CNO) nouvellement créée livre une concurrence acharnée à la Compagnie de la Baie d’Hudson (CBH). Entre 1774 et 1821, 600 postes de traite sont construits dans l’Ouest canadien (la carte ci-contre en donne un aperçu), la plupart pour quelques années seulement, jusque dans les territoires lointains du Nord-Ouest, au Grand Lac des Esclaves (Great Slave Lake).

Pour mener à bien ses activités de traite, jusqu’à sa fusion avec la CBH en 1821, la CNO recrute des milliers de voyageurs et d’hivernants, en majorité canadiens-français, favorisant ainsi les nouvelles alliances avec les Indiens et la naissance de communautés métisses dans ces régions. Ces Métis de l’Ouest joueront un rôle prépondérant dans le commerce des fourrures et dans la mise en place et le développement d’espaces francophones. La colonie de la rivière Rouge, fondée par les Métis sur la confluence de la rivière Assiniboine et de la rivière Rouge (Red River), à l’emplacement de l’actuelle ville de Winnipeg, donnera naissance à la province du Manitoba en 1870. Mais c’est une autre histoire…

Vue de la cathédrale Saint-Boniface depuis la promenade de la rivière Assiniboine à Winnipeg

Cathédrale Saint-Boniface à Winnipeg

L’Ouest canadien aujourd’hui

Aujourd’hui, malgré une présence francophone solidement ancrée dans l’Ouest canadien dès le début du XIXè siècle, les communautés francophones constituent autant d’enclaves qui luttent pour développer leurs droits linguistiques, au sein de populations très largement anglophones depuis la fin du XIXè siècle. Elles se désignent selon leur province d’appartenance : Franco-Manitobains (Manitoba), Fransaskois (Saskatchewan), Franco-Albertains (Alberta), Franco-Colombiens (Colombie britannique), Franco-Yukonnais (Yukon), Franco-Ténois (Territoires du Nord-Ouest).

Dans le Manitoba, seulement 4% environ de la population est de langue maternelle française. La Francophonie y est principalement urbaine, concentrée dans la ville de Winnipeg et notamment dans le quartier historiquement francophone de Saint-Boniface situé à l’embouchure de la rivière Assiniboine, sur la rive opposée de la rivière Rouge. La photo ci-contre montre une vue du quartier (et de la cathédrale) Saint-Boniface depuis la promenade de la rivière Assiniboine, à la jonction des deux rivières. C’est à cet endroit précis qu’aurait pu se trouver en 1738 le premier Européen parvenu sur les lieux, un certain…La Vérendrye.

Pour découvrir plus largement les richesses touristiques de l’Ouest canadien, les quatre provinces du Manitoba, de la Saskatchewan, de l’Alberta et de la Colombie britannique regroupent maintenant leur offre à travers le site L’Ouest canadien en français.

Références bibliographiques et sites de référence pour approfondir

– Histoire de l’Amérique française, édition revue (2008), Gilles Havard, Cécile Vidal (ouvrage de référence sur la Nouvelle-France).

– La Francophonie nord-américaine. Ouvrage dirigé par Yves Frenette, Etienne Rivard, Marc Saint-Hilaire (Presses de l’Université Laval, 2012).

Dictionnaire bibliographique du Canada (site de l’Université de Laval et de l’Université de Toronto).
Musée virtuel de la Nouvelle-France (site du Musée canadien de l’histoire).

L’Atlas canadien en ligne (Les premiers réseaux commerciaux).
Fédération des Communautés Francophones et Acadienne du Canada (site du FCFA).